biographie d'André Marie Ampère (2ème partie)

Polytechnique, correspondance-- le savant, travaux, découvertes, jeu d'échecs
Ampère philosophe, Maine de Biran, système psychologique.

A l'école Polytechnique - Correspondance Religieuse avec ses amis de Lyon.

En 1805, il avait été nommé répétiteur à l'École polytechnique. Il n'en continiua pas moins son apostolat auprès de ses amis de Lyon, les aidant de tout son pouvoir à se maintenir dans la voie de la vérité, ne leur épargnant ni ses conseils, ni ses lettres. M. Barret lui écrivait souvent pour le tenir au courant des progrès religieux de tous ceux qu'il aimait. Voici une de ces lettres datée de février 1805 :

" Chaque jour, j'éprouve de plus en plus les effets de la bonté de Dieu. Mon frère est venu me visiter, il a passé une semaine avec moi : j'ai pu remarquer que son caractère s'est heureusement modifié 'par les sentiments religieux. Il m'a remis une lettre de son ami, dans laquelle celui ci, également ému d'une grâce céleste, me témoigne qu'il sent mieux que jamais le bonheur d'être chrétien; et, comnue s'ils s'étaient tous donné le mot, je reçois, le même jour, un mot de Bredin, qui déclare que l'orgueil seul a pu le faire reculer dans le chemin de la vérité, et que, pour y marcher avec plus de fermeté, il réclame mes services et les vôtres. Ce n'est pas tout : Bonjour paraît s'ébranler, et j'ai engagé Bredin à s'attacher à lui, promettant que vous et moi le seconderions. D'un autre côté, Grognier s'est marié : sa femme est pieuse, cela doit contribuer à te ramener au christianisme. Enfin, c'est dans de telles circonstances que M. Lambert doit prêcher le Carême à Saint-Jean, c'en est assez, je pense, pour que nous puissions espérer la conversion sincère de nos amis. Mon brave et digne petit Ampère, votre modeste apostolat n'a donc pas été inutile. Après Dieu, c'est vous qui avez puissamment agi sur l'esprit de mon frère. Je vous engage, par tout ce que vous aimez, à tenter la même entreprise auprès de son cadet, mais la guérison d'un tel malade n'est pas une petite cure. Cette œuvre accomplie, vous pourrez, non pas m'être plus cher, mais devenir plus agréable à Dieu. Faites ce miracle et j'oublierai tout à fait que vous avez quitté Lyon pour Paris. "

Parmi les amis dévoués qu'Ampère avait laissés à Lyon, il faut citer M.J. Bredin, qu'il affectionna toujours particulièrement. Il entretint avec lui une correspondance suivie, où son cœur et son âme se révèlent avec une touchante simplicité. M.J. Bredin avait une fille nommée Méla, elle dicte à son père des prières que celui-ci s'empresse de communiquer à son ami. Aussitôt A. Ampère lui répond de Paris :

" Oh ! comme le présent que vous m'avez fait m'a touché, mon bon ami. J'ai été lire votre lettre et le petit livre qui l'accompagnait dans le jardin de l'École polytechnique, à l'ombre d'arbres plantés par des grands de la terre dont la puissance s'est évanouie.

Au chant des oiseaux et seul au milieu de cette belle nature renaissante, comme je sentais le néant de ce que je poursuis à Paris ! Mon Dieu, vous avez permis que j'y vinsse éprouver combien est vain ce monde dont la vue, dans le lointain, me paraissait offrir une si brillante perspective. Ces savants, si fiers de leurs connaissances, que sont-ils auprès de l'âme simple à qui Dieu se révèle ? C'est lui qui a inspiré à Méla les prières qu'elle vous a dictées. Pauvres littérateurs ! Efforcez-vous d'égaler celte touchante éloquence d'une pensée qui n'étudia jamais vos rhétoriques ! Mon ami, pourquoi fallait-il que je vinsse à Paris pour connaître l'homme, pour me connaître moi-même ?

Ne soyez pas longtemps sans m'écrire. Mon cœur est si froid quand vos lettres. ne viennent point le réchauffer. Parmi ceux qui, à Paris, n'ont pas mis leur Dieu en oubli, je tâcherai de répandre vos prières.

Je vous prie de dire à monsieur votre père et aux deux dames Bredin combien je suis reconnaissant de leurs bontés pour moi." Adieu".

Pendant une période de sept ou huit ans, Ampère est encore en proie à des doutes qui le tourmentent, il lutte courageusement et finit par triompher de cette longue épreuve. Dès lors, il est à Dieu pour toujours. Ses lettres à M. Bredin nous montrent avec quelle sévérité il s'examine.

" Mes visites d'obligation ne sont pas terminées, un rapport très court que j'avais promis avant le jour de l'an n'est pas commencé, et plusieurs autres également pressés ne le sont pas davantage. Mais ce que je me reproche sans comparaison plus que le reste, c'est de ne m'être nullement préparé à achever aujourd'hui la suite d'aveux que je fais à l'homme pieux dont je t'ai parlé. Que lui dirai-je de l'emploi de ces huit jours ? Les voilà dissipés comme une fumée sans laisser de trace. Ah ! je l'espère, Dieu achèvera son ouvrage et donnera à mon cœur un nouvel élan vers lui. "

M. Bredin hésite à se confesser, Ampère s'émeut, s'inquiète, il tremble pour l'âme qui lui est si chère et veut savoir où elle en est avec Dieu :

" Tu éprouves plus que jamais, me dis-tu, le désir de participer à la table du Sauveur. Qu'aurais-je à souhaiter, si tu me parlais davantage d'un autre sacrement que la miséricorde divine a daigné instituer pour qu'après ses égarements le pécheur pût chercher à s'unir à Dieu sans une extravagante témérité... Ce que je demande à Dieu tous les jours pour toi, c'est que tu trouves, à Lyon , un ecclésiastique dévoré d'un zèle pur, qui puisse mériter toute ta confiance et être, au nom du ciel, le ministre de cette absolution, je voudrais qu'il fût ton ami pour te parler des grâces que Dieu t'a faites, de tes peines et du repentir que tu sens de tes offenses envers lui; je voudrais que ce prêtre, dans sa véritable charité, cherchât avec toi le moment où tu pourras t'approcher du saint tribunal. Cher ami, un tel homme n'existerait-il donc pas à Lyon ?.

Ecris-moi, je t'en conjure, sur une question que je vais te faire en tremblant. Où en es-tu précisément sur ta croyance à l'Eglise catholique ?. Nous, ne saurions mieux terminer ces lignes consacrées au grand chrétien qu'en citant les réflexions qu'il écrivit quatorze mois après la mort de sa.femme. Écoutons parler cette âme droite et humble :

" Défie-toi "de ton esprit, il t'a souvent trompé ! Comment pourrais-tu encore compter sur lui ? Quand tu t'efforçais de devenir philosophe, tu sentais déjà combien est vain cet esprit qui consiste en une certaine facilité à produire des pensées brillantes. Aujourd'hui que tu aspires à devenir chrétien, ne sens-tu pas qu'il n'y a de bon esprit que celui qui vient de Dieu ?. L'esprit qui nous éloigne de Dieu, l'esprit qui nous détourne du vrai bien, quelque pénétrant, quelque agréable, quelque habile qu'il soit, pour nous procurer des biens corruptibles, n'est qu'un esprit d'illusion et d'égarement.

La figure de ce monde passe. Si lu te nourris de ses vanités, tu passeras comme elle. Mais la vérité de Dieu demeure éternellement, si tu t'en nourris, tu seras permanent comme elle. Mon Dieu ! que sont toutes ces sciences, tous ces raisonnements, toutes ces découvertes de génie, toutes ces vastes conceptions que le monde admire et dont la curiosité se repaît si avidement ! En vérité, rien que de pures vanités.

Étudie les choses de ce monde, c'est le devoir dé ton. état, mais ne les regarde que d'un œil, que ton autre œil soit constamment fixé sur la lumière éternelle.

Ecoute les savants, mais ne les écoute que d'une oreille, que l'autre soit toujours prête à recevoir les doux accents de la voix de ton ami céleste, n'écris que d'une main, de l'autre, tiens-toi aux vêtements de Dieu, comme un enfant se tient aux vêtements de son père".

" Que mon âme, à partir d'aujourd'hui, reste ainsi unie à Dieu et à Jésus-Christ ! "


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Le savant - ses travaux et découvertes - le jeu d'échecs.

Cependant, la gloire qu'Ampère ne recherchait point, comme nous le prouve la méditation précédente, venait au-devant de lui. Ses Considérations sur la théorie mathématique du jeu avaient attiré sur lui l'attention des savants. Dans ce volume, il mettait en lumière une ingénieuse et savante application du calcul des probabilités, c'est ce travail qui lui avait valu, en 1802, une chaire au collège de Lyon . Le séjour de cette ville, qu'il avait tant désiré pendant les premières années de son mariage, lui devint odieux après la mort de Mme. Ampère.

En 1805, il quitta Lyon , où rien ne le retenait plus, et fut nommé répétiteur à l'École polytechnique.

En 1808, il devint inspecteur général de l'Université.

En 1809 professeur titulaire à l'École polytechnique, puis chevalier de la Légion d'honneur.

En 1814, l'Institut lui ouvrait ses portes, il fut élu membre de l'Académie royale des sciences et, peu après, toutes les Sociétés savantes de l'Europe se disputèrent l'honneur de le compter parmi leurs membres. La découverte qui lui fait le plus d'honneur et qui fut, sans contredit, la plus riche en conséquences, est la théorie qui porte son nom, et qui rend compte de tous les phénomènes de l'électro-dynamique et de ceux qui en dérivent.

En 1819, un physicien danois, Œrsted, avait signalé, l'action d'un courant électrique circulant dans le voisinage d'une aiguille aimantée. Ampère répéta toutes ces expériences dans son laboratoire de la rue des Fossés-Saint-Victor, en inventa de nouvelles et parvint à formuler, d'une manière ingénieuse, la loi de ces phénomènes. Il imagina un observateur placé dans le courant, la face vers l'aiguille aimantée, le courant entrant par les pieds et sortant par la tête, dans ces conditions, l'aiguille tend à se mettre en croix avec le courant, de manière que son pôle Nord soit à la gauche de ce dernier (représenté par l'observateur). Poursuivant l'étude de ces phénomènes, il trouva l'action des courants sur les courants, et y ramena tous les phénomènes de l'électro-dynamique, du magnétisme terrestre et de l'électro-magnétisme. Il contribua aussi, avec Arago, à l'invention de l'électro-aimant.

Pendant plusieurs semaines, dit Arago, les savants nationaux et étrangers purent se rendre en foule dans son humble cabinet de la rue des Fossés-Saint-Victor, et y voir avec étonnement un fil conjohctif de platine qui s'orientait par l'action du globe terrestre.

Qu'eussent dit Newton, Halley, Dufay, Æpinus, Franklin, Coulomb, si quelqu'un leur avait annoncé qu'un jour viendrait où à défaut d'aiguille aimantée, les navigateurs pourraient orienter leur marche en observant des courants électriques, en se guidant sur des fils électriques ?.

L'action de la terre sur un fil conjonctif est identique, dans toutes les circonstances qu'elle présente, avec celle qui émanerait d'un faisceau de courants ayant son siège dans le sein de la terre, au Sud de l'Europe, et dont le mouvement s'opérerait, comme la révolution diurne du globe, de l'Ouest à l'Est.

Son cabinet de travail s'ouvrait à toute heure et à tout venant. On n'en sortait pas, il faut l'avouer, sans qu'il vous demandât si vous connaissiez le jeu d'échecs..

La réponse était-elle affirmative, il s'emparait du visiteur et joutait contre lui des heures entières. Ampère avait trop de candeur pour s'être aperçu que les inhabiles eux-mêmes connaissaient, un moyen infaillible de le vaincre : quand les chances commençaient à leur être défavorables, ils déclaraient, en termes très positifs, qu'après de mûres réflexions, le chlore était définitivement pour eux de l'acide muriatique oxygéné, que l'idée d'expliquer les propriétés de l'aimant à l'aide des courants électriques semblait une vraie chimère, que, tôt ou tard, les physiciens reviendraient au système de l'émission, et laisseraient les ondes lumineuses parmi les vieilleries décrépites du cartésianisme. Ampère avait ainsi le double chagrin de trouver de prétendus adversaires de ses théories favorites et d'être échec et mat (Arago).
 


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Ampère Philosophe - Influence sur Maine de BIRAN - Son système psychologique - Inquiétude de Ballanche.

Outre ses études scientifiques, Ampère, se lança aussi dans des études philosophiques, cherchant à concilier la religion et la raison, à saisir et à proclamer la certitude métaphysique. Des hardies spéculations de l'astronomie, il savait descendre, aux ingénieux aperçus de la philologie et à la littérature ancienne ou moderne. Dieu l'avait doué d'une activité d'esprit prodigieuse, rien ne le fatiguait plus que le repos. Sa mémoire prompte et fidèle saisissait la parole ou l'idée au passage et la retenait pour toujours.

Lié avec Cabanis, Destutt de Tracy, de Gérando, tous amis-de Maine de Biran, il entretint avec ce philosophe une correspondance qui dura une dizaine d'années . et qui forme la plus grande partie des écrits philosophiques d'Ampère, elle montre quelle fiit son influence sur l'esprit de l'auteur du Mémoire sur l'habitude. Cette influence, pour être cachée n'en fut pas moins considérable. Ce qui manque à Ampère, pour occuper dans la philosophie moderne une place digne de son mérite et de ses méditations, c'est surtout un langage intelligible'à la masse du public.

Le système psychologique d'Ampère différait sur bien des points de celui de Maine de Biran. Il lui a emprunté la distinction de l'idée et du sentiment, mais il distinguait plus nettement les sentiments et les sensations, et il le devance en constatant l'activité volontaire comme parfaitement distincte de la sensation, du sentiment et de l'idée. Il faisait à la raison une part plus grande que Maine de Biran, et il conservait ii la perception externe toute sa valeur, sans laquelle les sciences cosmologiqnes n'auraient point d'objet.

Enfin, il établit une distinction entre la conscience de l'effort et la sensation du mouvement musculaire. La sensation se rapporte au muscle mis en jeu, il n'en est pas de même de l'effort volontaire. L'illustre mathématicien est allé trop loin lorsqu'il a cru que tout homme a naturellement et primitivement conscience de la localisation dans le cerveau, car c'est là une notion acquise. C'est encore lui qui a attiré l'attention de Maine de Biran sur la conception des relations mutuelles qui existent entre les causes extérieures indépendamment de nous et de nos sensations : conception rationnelle, sans laquelle les sciences mathématiques et physiques ne pourraient pas exister.

Quand une idée possédait l'esprit inventeur d'Ampère, il n'entendait plus rien autre chose, aussi, cette direction nouvelle vers la psychologie devint-elle assez forte pour dominer un moment toutes les autres. M. Ballanche, son ami et son compatriote, fut effrayé de la passion avec laquelle Ampère se lançait dans cette nouvelle voie.

Il lui écrivit en 1805 : ce que vous me dites au sujet de vos succès en métaphysique me désole. Je vois avec peine qu'à trente ans vous entrez dans une nouvelle carrière. On ne va pas loin quand on change tous les jours de route. Songez bien qu'il n'y a que de très grands succès qui puissent justifier votre abandon des mathématiques, où ceux que vous avez déjà eus présagent ceux que vous devez attendre. Mais je sais que vous ne pouvez mettre de frein à votre cerveau.

Cette idéologie ne fera-t-elle point quelque tort à vos sentiments religieux ?. Prenez bien garde, mon cher et très cher ami, vous êtes sur le bord d'un précipice : pour peu que la tête vous tourne, je ne sais pas ce qui va arriver. Je ne puis m'empêcher d'être inquiet. Votre imagination est une bien cruelle puissance qui vous subjugue et vous tyrannise. Quelle différence il y a entre nous et Noël !.J'ai retrouvé ici les jeunes gens qui appartiennent comme moi à la société que vous savez. Combien ils sont heureux ! Combien je désirerais leur ressembler !.

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créé le 8 avril 2009
Copyright JOLY Guy

source : hebdomadaire les "Contemporains" du 29 avril 1894 N° 81