biographie d'André Marie Ampère (1ère partie) (3 pages)

Influence d'un chapelet -- Naissance et éducation -- Jeunesse et mariage d'AMPÈRE
Professeur à Bourg -- Retour à Lyon, mort de sa femme -- Le grand chrétien

1ère partie


Influence d'un chapelet haut de page

Un jeune homme de dix huit ans arrivait à Paris. Il n'était point incrédule mais son âme était plus ou moins atteinte de ce que le P. Gratry appelait la crise de la foi. Un jour, ce jeune homme entre dans l'église de Saint-Etienne du Mont. Il aperçoit, agenouillé dans un coin, près du sanctuaire, un vieillard qui, pieusement, récitait son chapelet. Il s'approche et reconnaît Ampère, son idéal.

Ampère qui était pour lui la science et le génie vivants. Cette vision l'émeut jusqu'au fond de l'âme, il s'agenouille sans bruit derrière le maître, la prière et les larmes jaillissent de son cœur. C'était la pleine victoire de la foi et de l'amour de Dieu et le jeune homme, car c'était lui, se plaisait à redire ensuite :

« Le chapelet d'Ampère a plus fait sur moi que tous les livres et même que tous les sermons ».

Ampère accepta le jeune homme pour son commensal, et le grand mathématicien aimait à s'entretenir avec son jeune ami :

«Leurs entretiens, dit le P. Lacordaire, amenaient dans l'âme du savant, à propos des merveilles de la nature, des élans d'admiration pour leur auteur. Quelquefois, mettant sa tête entre ses mains, le vieillard s'écriait comme tout transporté: " Que Dieu est grand, le jeune homme, que Dieu est grand "».

Le jeune homme ne fut pas le seul à ressentir la bienfaisante influence du grand savant. La simplicité et la droiture de sa foi exerçaient une impression salutaire sur tous ceux qui l'approchaient, particulièrement sur les jeunes gens vers lesquels son cœur, demeuré jeune, se sentait incliné.

 

André Marie Ampère

né à Poleymieux-lez-Mont-d'Or le 20 janvier 1775
décédé à Marseille le 10 juin 1836

 

Naissance et éducation haut de page


Insurrection de la ville de Lyon, lettre prophétique de Jean Jacques AMPERE à sa femme, crise morale d'André Marie

Ce fut à Poleymieux-lez-Mont-d'Or près de Lyon, que naquit, le 20 janvier 1775, André-Marie Ampère, dont le nom rappelle les plus belles inventions des temps modernes. Son père, Jean Jacques AMPERE, modeste commerçant retiré des affaires, exerçait à Lyon les fonctions de juge de paix. C'était un homme juste et droit, universellement aimé de ses concitoyens. Tous les loisirs que lui laissait sa charge étaient consacrés à l'éducation de son fils, il était aidé dans sa tâche par sa femme, Jeanne-Antoinette Sarcey de Sutières, qui travaillait de concert avec lui à former l'esprit et le cœur des deux enfants que le ciel leur avait donné. Les vertus éminentes de Mme Ampère lui avaient mérité, comme à son mari, l'estime et l'affection générales. Entre ces deux âmes d'élite le jeune André-Marie put développer sans efforts les riches dons qu'il avait reçus de Dieu.

A peine sut-il lire qu'il dévora tous les livres qu'on laissait à sa disposition. Il poussait si loin l'amour de l'étude et principalement des mathématiques que, sans avoir encore la moindre notion de calcul théorique, sa plus grande distraction était de faire des opérations arithmétiques avec de petits cailloux ou des haricots. Pendant une grave maladie, sa mère lui enleva ses cailloux, pour le forcer à un repos absolu. L'enfant continua ses opérations avec les morceaux d'un biscuit qu'on lui avait donné après plusieurs jours de diète.

A l'âge de 11 ans, connaissant déjà l'application de l'algèbre à la géométrie, il supplia son père de le conduire à Lyon, pour y voir la bibliothèque. M. l'abbé Daburon, qui en était le conservateur, connaissait Jean-Jacques Ampère. Il ne fut pas médiocrement intrigué quand il le vit accompagné d'un petit bonhomme qui, d'une voix enfantine, lui demanda les ouvrages d'Euler et de Bernouilli. «" Les œuvres d'Euler et de Bernouilli ! s'écria M. Daburon, y pensez-vous, mon petit ami ? Ces ouvrages figurent au nombre des plus difficiles que l'intelligence ait jamais produits. J'espère néanmoins être en état de les comprendre, répondit l'enfant. Vous savez, sans doute, qu'ils sont écrits en latin et que c'est le calcul différentiel qu'on y emploie ? "»

Ne connaissant ni le latin, ni le calcul différentiel, l'enfant dut se retirer. Mais le grand, désir qu'il avait de lire ces traités, réputés si difficiles, fit qu'il se consacra, dès cet instant, à l'étude de ces deux branches des connaissances humaines, et, au bout de quelques semaines, guidé par les leçons de M. l'abbé Daburon, il fut en état de se lancer dans les hautes spéculations ' mathématiques.
.

Dès lors, parallèlement à ses études chéries, il apprenait le grec, l'italien, le sanscrit, et, à dix-huit ans, il parlait couramment et traduisait à livre ouvert les meilleurs auteurs de ces langues.

Ce fut à peu près vers cette époque qu'il conçut le projet de former une langue universelle, dont il écrivit plus tard un dictionnaire et une grammaire que seuls ses amis ont eus entre les mains. Cette riche intelligence allait s'élargissant toujours, lorsque survint un événement qui ébranla le jeune homme à un tel point qu'on le crut frappé d'idiotisme.

Au printemps de 1793, la ville de Lyon, exaspérée par le sanguinaire despotisme des Jacobins, se révolta contre la municipalité terroriste, et pendant deux longs mois, résista à l'armée républicaine envoyée par la Convention pour la soumettre. La cité lyonnaise fut obligée de capituler devant des forces supérieur, Dubois de Crancé, membre du Comité du salut public, pénétra dans la ville, il s'empressa d'envoyer en prison et bientôt à l'échafaud tous les chefs de l'insurrection. Parmi eux se trouvait Jean-Jacques Ampère, ses concitoyens lui avaient demandé de se mettre à leur tête pour les diriger dans leur juste révolte contre un joug tyrannique.

Sans égard au danger, le digne magistrat avait répondu à leur confiance, il devait payer de sa vie son dévouement à sa patrie, il monta sur l'échafaud le 23 novembre 1793.

La veille de sa mort, il écrivait à sa femme,

J'ai reçu, ma chère amie, ton billet consolateur, il a versé un baume bienfaisant sur les plaies morales que fait à mon âme le regret d'être méconnu par mes concitoyens, qui m'interdisent, par la plus cruelle séparation, une patrie que j'ai tant chérie et dont j'ai tant à cœur la prospérité. Je désire que ma mort soit, le sceau d'une réconciliation générale entre tous nos frères. Je pardonne à ceux qui s'en réjouissent, à ceux qui l'ont provoquée et à ceux qui l'ont ordonnée. J'ai lieu de croire que la vengeance nationale, dont je suis l'une des plus innocentes victimes, ne s'étendra pas sur le peu de bien qui nous suffisait, grâce à ta sage économie et à notre frugalité qui fut ta vertu favorite. Après ma confiance dans l'Éternel, dans le sein duquel j'espère que ce qui restera de moi sera porté, ma plus douce consolation est que tu chériras ma mémoire autant que tu m'as été chère. Ce retour m'est dû. Si, du séjour de l'éternité, où notre chère fille m'a précédé, il m'était donné de m'occuper des choses d'ici-bas, tu seras, ainsi que mes chers enfants, l'objet de mes soins et de ma complaisance. Puissent-ils jouir d'un meilleur sort que leur père, et avoir toujours devant les yeux la crainte de Dieu, cette crainte salutaire qui fait naître en nos cœurs l'innocence et la justice, malgré la fragilité de notre nature.

II s'en faut beaucoup, ma chère amie, que je te laisse riche et même avec une aisance ordinaire; lu ne peux l'imputer à ma mauvaise conduite ni à aucune dissipation. Ma plus forte dépense a été l'achat des livres et des instruments de géométrie dont notre fils ne pouvait se passer pour son instruction; mais cette dépense même était une sage économie, puisqu'il n'a jamais eu d'autre maître que lui-même. Ne parle pas à ma fille Joséphine du malheur de son père, fais en sorte qu'elle l'ignore. Quant à mon fils, il n'y a rien que je n'attende de lui. Tant que tu les posséderas et qu'ils te posséderont, embrassez-vous en mémoire de moi. Je vous laisse à tous mon cœur.

Jean-Jacques Ampère, époux, père, ami et citoyen fidèle. " Quant à mon fils, il n'y a rien que je n'attende de lui ". Paroles prophétiques, pieusement recueillies par celui qui devait si bien les justifier un jour. Accablé sous le poids du chagrin, André-Marie, depuis la mort de son père, passait ses journées dans un morne silence, occupé à faire des tas de sable dans le jardin ou bien à contempler le ciel, lui qui, si jeune encore, avait refait tous les calculs de la Mécanique universelle de Lagrange. Un an s'écoula de la sorte. On crut que cette puissante intelligence avait succombé sous le poids de la douleur. Ses parents et ses amis désespéraient de voir jamais se réveiller ce génie naissant, lorsque, par une circonstance fortuite, lui tombèrent entre les mains les Lettres sur la Botanique de J.-J. Rousseau. Ce roman rappela en lui l'énergie qui s'était éteinte, et il reprit ses études en suivant un cours différent.
La psychologie et les lettres lui offrent la consolation qu'il cherche. Bientôt il s'enivre des plus beaux vers d'Horace, de Virgile et du Tasse.

Jeunesse et mariage d'AMPÈRE haut de page

Ampère vient d'atteindre sa vingtième année. Il habite Lyon, où il donne des leçons pour gagner sa vie, en attendant une place de professeur. Travailleur acharné et infatigable, il se lève à quatre heures, afin d'avoir le temps nécessaire pour ses études favorites. Quelques-uns de ses amis, avides d'apprendre, viennent le trouver rue Mercière et ensemble ils lisent Lavoisier. L'étendue de ses connaissances en fait déjà une sorte d'oracle. " Depuis longtemps, il est aussi fort en géométrie, en mathématiques qu'il le sera jamais. Devenu helléniste, latiniste, fou de poésie, il fait des tragédies, ébauche des poèmes sur les sciences naturelles, sur la morale de la vie, une épopée sur Christophe Colomb il rime des chansons, des madrigaux, range, classe sa flore. Il étudie la chimie, la physique, la mécanique, le blason, la philosophie. " La musique même ne lui demeurera pas étrangère, il en compose un petit traité et écrit sur ce sujet quelques articles dans un journal de l'époque.

Chaque semaine, il vient passer la journée du dimanche auprès de sa sœur et de sa mère, qui habitent, à Polémieux, le domaine de la famille. Non loin de là se trouve le petit village de Saint-Germain, où réside, avec sa fille, une tante d'André-Marie souvent il s'arrête chez elle. C'est là qu'il devait rencontrer bientôt la future compagne de sa vie, Mlle Julie Caron. La famille Caron possède à Saint-Germain une propriété qu'elle habite pendant l'été. Cette famille se compose du père, de la mère et de plusieurs enfants. L'aînée des deux filles non mariées se nomme Julie. On a retrouvé dans les papiers du grand mathématicien une feuille volante qui remonte à cette époque : " Elevé dans une solitude presque complète, l'étude et la lecture, qui avaient fait pendant longtemps mes plus chères délices, me laissaient tomber dans une apathie que je n'avais jamais ressentie, et le cri de la nature répandait dans mon âme une inquiétude vague et insupportable. Un jour que je me promenais, après le coucher du soleil, auprès d'un ruisseau solitaire".

La page inachevée ne nous en dit pas davantage. Qu'avait-il vu auprès de ce ruisseau ? Evidemment il avait voulu raconter sa première rencontre avec Julie. Un journal intime fait suite à cette feuille, et nous initie jour par jour aux purs et naïfs sentiments du jeune homme, jusqu'au moment où il devient le fiancé de Julie Caron. Pendant un an, il multiplie les prétextes pour rendre ses visites plus fréquentes. Le dimanche, il se rend à Curis, où un prêtre non assermenté célèbre secrètement la messe, là, il rencontre souvent la famille Caron, qui assiste régulièrement au Saint-Sacrifice
.

Au milieu de ses naïves confidences perce déjà l'homme distrait. Il raconte qu'il a commis une série de maladresses causées par ses distractions. Il oublie même de soigner sa toilette, et on l'en avertit doucement. Toute sa vie, il devait conserver ce dédain pour les détails extérieurs qui ne parvenaient pas jusqu'à lui. Enfin, il nous apprend que sa mère est allée faire une visite à la mère de Julie et qu'elles ont causé du grand projet. Le seul obstacle qui semble s'opposer à sa réalisation est la position d'Ampère qui, malgré sa science, n'a aucune carrière assurée. Quelques jours après cette visite, Mme Caron et sa fille font à André un grand éloge de l'état d'agent de change. On se figure difficilement le grand Ampère agent de change. La fortune de ses clients, attachée à la sienne, aurait certainement couru des dangers. Cette scène rappelle ce qui se passait vingt-cinq ans plus tard au foyer d'Ampère cherchant pour son fils une profession lucrative qui ne l'obligeât pas à renoncer aux sciences. Il crut avoir trouvé l'idéal de ses rêves dans la carrière de pharmacien. Que de fois Jean-Jacques, devenu littérateur distingué et remarquable polyglotte, rit de bon cœur en racontant l'idée de son père et ses propres hésitations à ce sujet. " Ah ! disait-il, en me trompant involontairement de mélange et d'étiquette, que de dégâts, que de crimes mes distractions ne m'eussent-elles pas fait commettre ! J'aurais empoisonné tout mon quartier ! "

Trois ans après la première rencontre, le 10 août 1799, Mme Caron, devenue veuve, accorde à André-Marie la main de sa fille. Sans pouvoir encore deviner quel homme célèbre se cache sous l'enveloppe du timide et modeste professeur, elle pressentit sa supériorité. Ses amis, tous ceux qui l'approchent, partagent cette impression, Julie, mieux que personne, apprécie le cœur d'André et sa haute intelligence. Quant à lui, il ne se réjouit que d'une seule chose : c'est de se sentir aimé. Le mariage fut célébré clandestinement par un prêtre non assermenté, qui se cachait souvent à Curis, habitation de la famille Lebœuf. Ballanche, ami de cœur d' André, célébra son bonheur dans un épithalame en prose. Cette alliance avec une famille éminemment catholique contribua pour une large part à entretenir et à développer les sentiments religieux auxquels l'illustre mathématicien était d'ailleurs porté par son éducation et par sa nature méditative. Pendant deux ans, il jouit d'un bonheur sans mélange; il continue à donner des leçons à Lyon. En 1801, nommé professeur de chimie et de physique à Bourg, il est obligé de se séparer de sa chère Julie, retenue à Lyon par sa faible santé et par la naissance de son fils Jean-JacquesJean-JacquesJean-Jacques. Dès lors, une correspondance active s'échange entre les époux. Ampère lutte contre la mauvaise fortune qui l'oblige à vivre éloigné de tous ceux qu'il aime. Sa nature, affectueuse et tendre, souffre cruellement de cette solitude du cœur, chaque soir, il y cherche un remède en écrivant une longue lettre à sa femme. Il l'initie aux moindres détails de sa nouvelle existence, aux débuts de son enseignement, il lui raconte qu'il est « timide et embarrassé au commencement de sa leçon.» Cette timidité ne devait pas durer longtemps chez le professeur; mais, dans la vie privée, dans ses relations avec le monde, il resta toujours un peu craintif. L'âge ne devait rien changer à cette disposition. Le célèbre Ampère, surchargé de distinctions honorifiques, redevenait hésitant lorsqu'il sortait des hautes spéculations mathématiques, toujours plus disposé à accorder sa confiance à d'autres qu'à lui-même. Dans la correspondance de l'illustre savant, il ne faut point chercher l'attrait du style, mais plutôt le caractère et le cœur joints à une simplicité charmante qui le fait aimer sur le-champ, il écrit de Bourg,


en 1801 : ' « Mon amie, c'est bien aujourd'hui la veille de ma fête et j'ai reçu le plus charmant bouquet qu'on puisse imaginer. Que tu es bonne de m'envoyer une si aimable lettre, au lieu de me faire des reproches comme les dames de ce pays-ci en font : sans cesse à leurs maris de ce qu'ils ne les aiment pas assez ! » Ses distractions lui jouent souvent de mauvais tours. Un jour, il se lance dans l'œil et sur ses vêtements un jet de liquide corrosif, une autre fois, il se rend en visite avec un costume déchiré. Mme. Ampère s'inquiète et multiplie les recommandations. Il s'efforce de la rassurer « Tu me dis de bien me tenir dans la maison où je suis. Je ne vois pas pourquoi ils ne voudraient plus de moi : je donne au moins trois heures et demie par jour à leurs élèves; après cela, trois leçons particulières de géométrie et de mathématiques ; enfin, mon cours public de quatre à six heures, dont les préparatifs me prennent beaucoup de temps, par-dessus tout, ce qui m'absorbe, c'est la correction des copies de seize élèves d'arithmétique; j'y perds toutes mes soirées. » Détail plus intime mais touchant quand on songe qu'il tombe d'une telle plume : Ma chère amie, ajoute-t-il, je ne brûle pas du tout mes vêtements, et ne fais de la chimie qu'avec ma culotte, mon habit gris et mon gilet de velours verdâtre. Puis une confidence d'un autre genre : J'ai reçu sept louis du mois précédent, douze livres qui étaient restées en arrière de l'autre, et vingt-sept francs de la contribution des élèves de l'école centrale. Peut-être pourrai-je ajouter à cela l'argent de M. Blanchard qui me doit vingt-un francs. En ce cas, tu recevrais neuf louis, pourvu qu'il me reste dix ou douze livres pour parer aux besoins imprévus, c'est tout ce qu'il me faut. "J'attends Noël comme les juifs le Messie." Quand il s'agit de faire la part de Julie et de son fils, sur son modeste traitement, son cœur devient aussi ingénieux mathématicien que son cerveau. A la lettre précédente, Mme Ampère répond de Lyon : " Mon ami, personne à Bourg ne sent comme toi ; tu es seul à penser à ceux qui t'aiment, tandis qu'ici j'ai la consolation de trouver beaucoup d'amis qui regrettent et qui me parlent de mon mari. " Notre enfant se porte très bien, c'est le plus grand de tous les bonheurs, sans celui-là que ferions-nous des autres? Le petit songe à toi, on sent qu'il t'aime de toutes ses petites facultés. Hier, il rêvait à son papa, il l'avait vu lui apportant une charrette avec des chevaux gris, et il pleura en s'éveillant de voir tout disparaître. " Les travaux absorbants d'Ampère ne l'empêchent pas de songer aux vérités éternelles. Le doute le tourmente autant qu'il a tourmenté Pascal. Nous lisons dans une lettre à sa femme, en 1802 : " J'ai été chercher dans la petite chambre, au-dessus du laboratoire, où est toujours mon bureau, le portefeuille en soie. J'en veux faire la revue ce soir, après avoir répondu à tous les articles de ta dernière lettre, et l'avoir priée, d'après une suite d'idées qui se sont, depuis une heure, succédé dans ma tête, de m'envoyer deux livres que je te demanderai tout à l'heure. L'état de mon esprit est singulier : il est comme un homme qui se noierait dans son crachat. Les idées de Dieu, d'éternité dominaient parmi celles qui flottaient dans mon imagination, et, après bien des pensées et des réflexions singulières dont le détail serait trop long, je me suis déterminé à te demander le Psautier français de La Harpe, qui doit être à la maison, broché, je crois, en papier vert, et un livre d'heures à ton choix. II désire ardemment être nommé au lycée de Lyon, afin de se rapprocher de sa famille. Dans ce but, il travaille chaque jour jusqu'à une heure assez avancée de la nuit. Ses découvertes finissent par le mettre en lumière. Ses considérations sur la théorie mathématique du jeu lui attirent les éloges de l'Institut et l'attention du gouvernement. Il se voit enfin sur le point d'obtenir la place ambitionnée et s'empresse d'en faire part à Mme Ampère. " M. Delambre, qui a fait sa visite au collège avec M. Villars, m'a dit : " Tout ce que je vois de vous confirme l'idée que j'en avais conçue. Je vais à Paris porter la liste de mes observations sur ceux qui se présentent. Votre place est à Lyon. Le gouvernement n'a rien changé encore à tout ce que j'ai fait, certainement, il ne commencera pas à propos de vous ; d'ailleurs, je serai là et j'y veillerai. " Ce que dit M. Delambre ne varie plus, ma nomination n'est donc pas susceptible du moindre doute.

"II voudrait quitter Bourg séance tenante et revenir à Lyon auprès de Julie, dont la santé devient chaque jour plus chancelante. L'inquiétude pour sa chère malade est le seul sentiment qui axe son imagination de feu, c'est le seul point sur lequel il n'ait aucune distraction, il pense à tout, il prévoit tout et lui envoie des ordonnances qu'un médecin pourrait signer. Cependant, sur le conseil de sa femme, il reste à Bourg jusqu'à sa nomination, puis il passe deux mois auprès d'elle où il la voit s'affaiblir de jour en jour, le 14 juillet 1803 elle est enlevée à sa tendresse. Cette mort le plonge dans une amère douleur, mais le rapproche .de Dieu. Quelques jours auparavant, il s'était confessé et avait communié. Son journal du temps nous montre avec quelle touchante résignation il accepta cette cruelle séparation qui brisait sa vie. La veille, il écrivit une prière admirable, où la foi et l'humilité du chrétien apparaissent dans toute leur beauté : « Mon Dieu, je vous remercie de m'avoir créé, racheté et éclairé de votre divine lumière, en me faisant naître dans, le sein de l'Église catholique. Je vous remercie de m'avoir rappelé à Vous après mes égarements, je vous remercie de me les avoir pardonnés. Je sens que vous voulez que je ne vive plus que pour vous, que tous mes moments vous soient consacrés. M'ôterez-vous tout bonheur sur cette terre? Vous en êtes le maître, ô mon Dieu ! Mes crimes m'ont mérité ce châtiment. Mais peut-être écouterez-vous encore la voix de vos miséricordes ! " J'espère en vous, ô mon Dieu! mais je serai soumis à votre arrêt, quel qu'il soit. Mais je ne méritais pas pas le ciel, et vous n'avez pas voulu plonger dans l'enfer. Daignez me secourir, pour qu'une vie passée dans la douleur me mérite une bonite mort, dont je me suis rendu indigne. " O Seigneur ! Dieu de miséricorde ! Daignez me réunir dans le ciel à ceux que vous m'aviez permis d'aimer sur la terre ! "

Le grand chrétien haut de page

Ampère ne se contentait pas de pratiquer pour lui-même les devoirs qu'imposé l'Évangile. Il fut toujours rempli d'une profonde sollicitude pour l'âme de ses amis, suivant avec intérêt, les combats que plusieurs d'entre eux avaient à soutenir contre le doute. Lui aussi en avait souffert, et il disait : « Le doute est le plus grand tourment que l'homme puisse endurer sur terre.  

Généalogie André Marie AMPÈRE

retour navigation
retour navigation


page suivante
page suivante


créé le 26 février 2009
Copyright JOLY Guy

source : hebdomadaire les "Contemporains" du 29 avril 1894 N° 81