Sébastien Le Prestre, Marquis de Vauban


Au dessus du petit village d'Epiry, fièrement campée sur une petite hauteur et dominant au loin la vallée de l'Yonne, s'élève, encore solide comme un donjon féodal, une énorme tour carrée, de quatre étages, aux murs lourdement tapissés de lierres centenaires. « On y voit, écrivait, vers 1850, le procureur général Dupin, la grande salle où étudiait le jeune Vauban et l'entre deux de croisée où il avait installé sa table de travail ». Il n'y a rien de changé aujourd'hui; mais, en réalité, Vauban n'accomplit pas ses études à Epiry et n'y fit jamais que de courtes apparitions; qu'il venait en Morvan, il résidait plutôt en son château certes plus confortable, de Bazoches. Il ne prenait, d'ailleurs, guère le temps de se reposer. En vingt cinq ans, de 1667 à 1692, il sollicita cinq ou six congés. Les plus longs furent ceux de 1690, quelques semaines à deux reprises, en vue de rétablir sa santé. A l'extérieur de la tour, on lit toujours, au dessus de la porte d'entrée, sur une grande plaque en marbre noir, l'inscription suivante, qu'y fit graver, en lettres d'or, en 1809, l'Empereur Napoléon 1er.
 

ICI FUT LA DEMEURE DE VAUBAN. IL Y DEVINT ÉPOUX ET PÈRE. IL Y MÉDITA LES TRAVAUX QUI L'ONT RENDU IMMORTEL.
LA FRANCE RECONNAISSANTE A DÉPOSÉ SON COEUR NON LOIN DES RESTES DE TURENNE, SOUS LE DÔME DES INVALIDES.
CETTE INSCRIPTION A ÉTÉ PLACÉE PAR ORDRE DE S. M. NAPOLÉON 1er, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITALIE, PROTECTEUR
DE LA CONFÉDÉRATION DU RHIN, H. J. CLARKE, COMTE D'HUNEBOURG, ÉTANT MINISTRE DE LA GUERRE. 1809
 

Quant à la maison où Sébastien Le Prestre, futur marquis de Vauban, vit le jour le 15mai 1633, elle existait encore il y a un demi siècle, à l'entrée du bourg de Saint Léger de Fourcheret, actuellement, Saint Léger Vauban, sur la route de Quarrés les Tombes; rien jamais ne la distingua des autres maisons du village, sinon ses destinations successives, qui sont pour le moins surprenantes. Quel oubli ! Quelle ingratitude ! Et cependant, de tout temps, Saint Léger reçut de nombreuses visites. Il est regrettable qu'un registre de signatures n'ait jamais existé. Contentons nous donc des réflexions que nous ont transmises quelques uns des compatriotes morvandiaux.
 

En 1776, lorsque Courtépée, l'auteur réputé de la Description générale et particulière du duché de Bourgogne, la visita, elle était couverte en chaume et consistait en deux chambres assez mal éclairées. Un sabotier l'occupait. Mais en la voyant, dit-il, transporté d'admiration, j'aurais voulu, pour la distinguer des autres, graver sur sa porte :
 

HAS MAGNUS PARVAS COLUIT VAUBANTIUS AEDES
(Le grand Vauban habita ces petites chambres),
 

Quelques années plus tard, un cabaretier s'y installe. La voilà bien ironie du destin : un cabaretier chez Vauban ! Lui qui dressant dans sa « Dîme royale » le bilan des misères du peuple et formulant son plan de redressement, n'hésitait pas en même temps, à dénoncer les fautes et les vices de ceux qu'il voulait protéger. C'est ainsi qu'il constatait, pour le déplorer grandement, que, « dimanches et fêtes», les cabarets villageois ne désemplissaient pas.
 

Vers le milieu du siècle dernier, la maison, qui, depuis longtemps, devrait être un lieu de pèlerinage, est devenue une grange à foin. Elle n'avait pas encore connu pareille injure lorsque en 1831 le procureur général Dupin vint l'admirer lui aussi. Il trouva une « maison fort modeste que le maire a pu lui montrer, mais sur laquelle il aurait voulu voir une inscription qui rappelait au moins la date de la naissance de Vauban »
 

Les vœux de Courtépée et de Dupin, ceux de tous les visiteurs ont été partiellement réalisés en 1905, par une statue du maréchal à Saint Léger et la pose d'une inscription par les soins du " Souvenir Français ". Mais une nouvelle plaque ne serait pas superflue; et, à l'occasion de la commémoration du grand patriote, pourquoi n'irait on pas jusqu'à demander le classement, comme " monument historique ", des restes de cette masure illustre ? On peut être sûr que, si une souscription était nécessaire en vue d'en offrir l'emplacement à l'Etat, ils ne seraient pas à s'inscrire, ceux qui occupent aujourd'hui, dans l'aisance, ce petit coin de France où commença de germer dans le cerveau du grand patriote l'idée du problème social et économique qu'il poursuivit toute sa vie.
 

Enfin, aujourd'hui, nous dit l'abbé Aujoulat, le sympathique curé de Saint Léger, la maison natale de Vauban n'existe plus; une plaque de marbre en indique simplement l'emplacement. La tradition veut qu'il subsiste un tronçon de mur datant de Vauban, avec la pierre de la cheminée (pierre à feu), et on aurait bâti " la grange " en utilisant une partie de ce mur.
 

Nous ne suivrons pas Vauban à travers son œuvre militaire gigantesque (sièges, fortifications, digues, routes, canaux), ni dans l'étude de son programme social où révèle le véritable protagoniste de l'économie politique dont il a laissé un résumé dans ce qu'il appelle " Mes oisivetés, ou ramas de plusieurs mémoires sur les divers sujets ", et dans sa fameuse " Dîme royale ", cause de la disgrâce à laquelle il ne put survivre.
 

Il faudrait, pour finir, reproduire l'admirable portrait qu'en a tracé Saint Simon " Il est inconcevable qu'avec tant de droiture et de franchise, incapable de se prêter à rien de faux, ni de mauvais, il ait pu gagner au point qu'il fît l'amitié et la confiance de Louvois et du roi. Patriote comme il l'était, il avait toute sa vie été touché de la misère du peuple et de toutes les vexations qu'il souffrait. C'était le meilleur homme et le meilleur patriote du monde "
 

Et Saint Simon termine " Je n'ajouterai rien ici sur cet homme véritablement fameux; il se trouvera occasion d'en parler encore ". Pour nous, cette occasion se présentera, dans quelques mois, au cœur de sa petite patrie morvandelle : à Saint Léger Vauban, à Avallon, à Bazoches, à Epiry.
 




Le plan de l'Arsenal de Mont Royal conçu par Vauban et
l'emplacement de la maison natale du Maréchal
à Saint Léger Vauban

 
statue de Vauban 1633-1707

Statue de Vauban 1633-1707  

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source : Journal Le Miroir du Monde 25 février 1933 N° 156