Le ventre d'une armée, la nourriture des soldats

Pour ravitailler une seule de nos armées, il faut, chaque jour,
200 wagons qui transportent un million et demi de kilos de denrées alimentaires.

Le ravitaillement de nos armées s'est opéré, depuis le début de la guerre, d'une façon parfaite :
tel est l'hommage que généraux et troupiers ont été unanimes à rendre au service de l'intendance militaire.

Pour se rendre compte de la façon dont se fait le ravitaillement de nos armées, il faut voir à l'œuvre le service de l'intendance, il est difficile de
concevoir l'énorme quantité de denrée, de toutes sortes que nécessite la nourriture de millions d'hommes en campagne, il faut se rendre compte
de la méthode qui préside à l'organisation de ces vastes entrepôts où sont rassemblées d'abord, expédiées ensuite, les rations journalières de nos soldats.

Chaque armée à son camp de ravitaillement, la visite de un d'eux permettra de saisir en pleine action cet organisme essentiel de la guerre.

Ces camps se dénomment " stations-magasins ", et voici la définition technique qu'en donnent les règlements militaires :
Les stations-magasins (S. M.) servent à maintenir disponibles, à une distance peu considérable du théâtre de la guerre, les approvisionnements
de toute nature, et constituent un régulateur indispensable des mouvements de matériel, soit vers l'armée, soit vers l'intérieur.

Ce titre de " station-magasin " est bien modeste pour le formidable travail qui s'y fait tous les jours :
l'organisme décrit ci-dessous a pour objet de ravitailler toute une armée,
c'est-à-dire plusieurs corps d'armée avec tous leurs services, ici, on doit pourvoir à la nourriture de 300.000 hommes.

Evidemment, c'est une " station " et c'est un " magasin ", mais cette station, où s'alignent
parallèles vingt voies de garage, reçoit journellement trois ou quatre cents wagons, en expédie au moins deux cents.

Ce magasin occupe une surface de plus de dix hectares :

Jour et nuit, dans cette " station-magasin ", travaillent deux mille hommes des C. O. A. (commis et ouvriers d'administration), sous la direction
d'un sous-intendant militaire, et cette petite ville, où tout se fait avec une méthode, une précision admirables, constitue le ventre d'une armée.
Quand on pénètre dans ses murs, on est tout d'abord frappé du silence et de l'ordre qui règnent dans cette ruche en activité, non que ce soit
un silence monastique :
les hommes parlent, agissent et plaisantent, mais les rouages sont si bien organisés que l'on ne perçoit ni le moindre heurt,
ni la bruyante ardeur d'ouvriers que l'on talonne.

La fabrication du pain

II faut journellement, pour l'armée que l'on ravitaille, 300.000 rations de pain :

la station magasin peut en fournir 200.000, le reste est envoyé directement par d'autres boulangeries militaires.

Ces 200.000 rations représentent 150.000 kilogrammes de pain.

Quatre boulangeries, comprenant 16 pétrins mécaniques et 80 fours démontables, assurent cette production.


Les pétrins mécaniques

Les pétrins mécaniques 

Les farines arrivent par wagons de différents points du territoire. Comme elles sont de diverses qualités, que leur état de conservation n'est pas toujours identique, il convient d'abord de les mélanger :
un mélangeur mécanique fait ce premier travail à la proportion voulue. De nouveau ensachées, les farines filent le long de câbles de fer vers les pétrins mécaniques où elles sont déversées par une manche en toile.

La levure, l'eau et le sel nécessaires sont ajoutés : il faut, tous les jours, 1100 à 1200 kilogrammes de sel.

Les pétrins sont mis en marche, si l'un d'eux s'arrête par suite d'une avarie quelconque, on pétrit à bras.

La pâte est disposée dans de petits paillassons : quand elle a levé, chaque pain est marqué à la date du jour et l'on enfourne.

Un brigadier, sans discontinuer, pousse et retire sa pelle, qu'essuie un servant, chaque fournée contient 135 à 140 pains.

La cuisson terminée, les pains sont rangés dans les grands casiers de la paneterie, d'où une équipe les transporte dans les trains, à raison de 5.000 par wagon.

Près de 700 hommes sont employés à ce travail de panification : ils se divisent en deux équipes, car on travaille jour et nuit. Chaque boulangerie comprend un officier ou adjudant, un sous-officier, un brigadier principal pour cinq fours, un brigadier, deux pétrisseurs et un servant par four.

Pour chauffer les fours on brûle, chaque jour, 40.000 kilogrammes de bois, le débit d'une scierie mécanique installée près des boulangeries ne suffit pas, il a fallu lui adjoindre des hommes de corvée qui scient et fendent le bois supplémentaire.
 

La viande

Les bêtes destinées à la nourriture des troupes ne sont pas abattues, on le sait, à la station-magasin. Elles sont expédiées vivantes.

Ainsi que nous l'avons dit, les écuries et les parcs contiennent 4.000 têtes environ. Tous les jours, il faut fournir une moyenne de 300.000 rations, ce sont 500 à 600 bœufs ou vaches qui, tous les jours, sont embarqués pour le front. Une fois par semaine, on donne à nos soldats de la viande de porc, pour ce jour-là, 1.000 à 1.500 porcs vivants sont expédiés aux abattoirs de l'armée.

un groupe de cinq fours

Un groupe de cinq fours
 
 

Les légumes, pâtes et fromages

Le pain et la viande constituent le fond du menu.
Mais nos braves troupiers réclament souvent contre cette abondance de viande, " ils voudraient des légumes".

On leur en expédie cependant, et par quelles quantités ! Tous les jours, la station-magasin doit donner tous les cinq jours, soit :
  • des pommes de terre,
  • des haricots, ou du riz,
  • du fromage,
  • des pois cassés ou du macaroni,
  • des choux,
La ration est calculée à raison de :
  • 100 grammes pour le riz, les haricots, le fromage, les pois cassés et le macaroni,
  • 750 grammes pour les pommes de terre et de 1 kilogramme pour les choux.
Multipliez ces chiffres par 300.000 rations et vous arrivez à des totaux fantastiques.

C'est ainsi que l'expédition seule des choux représente 3.000 quintaux, chaque jour, à pleins tombereaux, les maraîchers du voisinage viennent les déverser à la " station-magasin ", où ils s'amoncellent en une pittoresque montagne verte.

Et les autres denrées !
La multiplications donne, comme produit :
  • 225.000 kilos de pommes de terre,
  • 30.000 kilos de haricots,
  • 30.000 kilos de riz,
  • 30.000 kilos de fromage,
  • 30.000 kilos de pois cassés,
  • 30.000 kilos de macaroni.
  • 30.000 kilos de fromage,
Ajoutez à cela des sardines, du thon en quantités correspondantes.

Le sel

II faut assaisonner cette cuisine :
l'odeur du salpêtre ne remplace pas le sel. Aussi, chaque jour, 60 quintaux (6.000 kilos) de sel sont expédiés vers le front.
 

La torréfaction du café et le sucre

La torréfaction du café et le sucre

La torréfaction du café 

Le " jus " cher à nos troupiers. Se doutent-ils, nos soldats, de la quantité formidable de café que nécessite cette boisson si plaisantée,
mais si appréciée : 7.200 kilos de café torréfié sont envoyés quotidiennement à la seule armée que l'on ravitaille ici.
Ce café est torréfié tous les jours, vous pensez bien qu'il ne s'agit plus de la brûloir de nos pères, que l'on tournait d'un geste lent et cadencé. On a installé quatre torréfacteurs monstres ; imaginez une sphère d'environ un mètre de diamètre ; elle roule, suspendue au milieu d'un four chauffé au bois,
automatiquement, par un système de contre-poids, lorsque la torréfaction est parvenue au degré voulu, les portes du four s'ouvrent, la sphère sort
et vient déverser son contenu sur un vaste plancher où s'opère le refroidissement.


Chaque torréfacteur contient 80 kilos de café, on fait vingt-quatre brûlées par jour, les quatre torréfacteurs brûlant à la fois. Pour sucrer cette immense tasse de café, il faut du sucre en proportion. Il en est expédié, journellement, 9.600 kilogrammes.  

Vin et eau-de-vie

Le vin arrive dans des wagons réservoirs de la région du Midi. Il est transvasé dans des tonneaux qui partiront pour la gare régulatrice.
L'eau-de-vie est également envoyée au moyen de petits fûts.

Chaque jour, il est ainsi expédié 675 hectolitres de vin et 60 hectolitres d'eau-de-vie.

La ration est fixée à un demi-litre de vin et à un seizième d'eau-de-vie par homme.

Mais, dans les tranchées, les commandants d'unités peuvent augmenter ces rations :
par les froids et les journées de pluie, nos troupiers trouvent ainsi un stimulant qui les réchauffe un peu.

Les vivres de réserve

Nous venons de passer en revue ce qu'on pourrait appeler les rations réglementaires prévues pour la nourriture des troupes.

Mais il y a aussi les vivres de réserve, dont l'expédition n'est pas régulière et n'a lieu que sur la demande des chefs de corps.

Ces vivres consistent en pains de guerre, l'ancien biscuit, conserves de viandes, tablettes de café, potages en boîtes, eau-de-vie.

Des approvisionnements considérables existent dans chaque station-magasin.
 

Les wagons citernes

Les wagons citernes 

Un peu de confortable

Si la guerre actuelle a montré le perfectionnement des moyens de destruction, des instruments de mort, elle a aussi apporté un
peu plus de confortable à la nourriture des troupes. Les vieux grognards de l'Epopée seraient sans doute un peu surpris de ce que reçoivent leurs cadets.

C'est ainsi que tous les jours la station-magasin envoie à son armée :
1) 4.900 kilos de chocolat,
2)1.500 kilos de thé,
3) 6.000 kilos de sucre pour ce thé,
4) 1.500 kilos de savon,
5) 1.900 kilos de bougies,
6) 40.000 boîtes d'allumettes,
7) 20.000 cahiers de papier à cigarettes,
8) 200 kilos de tabac et de cigarettes pour les officiers,
9) 4.000 kilos de tabac pour la troupe.

Le Chauffage

L'intendance doit encore assurer l'envoi de bois de chauffage et de charbon, soit pour faire la cuisine,
soit pour faire du feu dans les tranchées et dans les cantonnements.
Les quantités de charbon de terre et de bois sont expédiées sur demande, quant au bois de chauffage, il en part 24.000 kilos par jour.

Pour les chevaux

La station-magasin n'a pas seulement à s'occuper des hommes, elle doit aussi fournir la nourriture des chevaux.
L'armée, dont elle a le ravitaillement à sa charge, demande 90.000 rations pour ses chevaux :
cela représente, pour chaque jour, 225.000 kilos de foin, 49.500 kilos d'avoine et 9.000 kilos de son.

Pour les automobiles

Ce n'est pas tout. L'armée moderne a perfectionné ses moyens de transport et nul n'ignore de quelle utilité sont pour elle les véhicules automobiles.
Il faut aussi les nourrir, si j'ose dire; et voilà une quantité nouvelle et appréciable de produits à expédier.
Tous les jours, la station-magasin envoie :
450 hectolitres d'essence, 27 hectolitres de pétrole, 45 hectolitres d'huile et 450 kilogrammes de graisse.
A cela, ajoutez la glycérine et le carbure de calcium envoyés sur demande.

Pour compléter l'énumération des produits expédiés, ajoutons 20 quintaux de sel dénaturé destiné à la conservation des peaux des bêtes abattues.

Un total formidable

Et maintenant, si nous multiplions ce total par le nombre de jours
qui se sont écoulés depuis le commencement des hostilités,
soit 158, nous arrivons au chiffre formidable de 232.868.300 kilos, en 800 trains comprenant 32.000 wagons.

La gare régulatrice

Toutes ces denrées sont envoyées, par chemin de fer, vers la gare régulatrice, qui est sous la direction du service des étapes, cette gare
transmet les ordres d'envoi puis expédie les rames de wagons vers les différents cantonnements, c'est à la gare la plus prochaine que viennent
les voitures régimentaires, autobus et autres véhicules, pour chercher les approvisionnements et les répartir entre chaque régiment.

Tous ces services de l'intendance sont sous la direction du général commandant en chef, et il faut chercher là la véritable explication de leur excellent
fonctionnement, ils ne sont plus indépendants, comme au moment de la guerre de 1870.

Les marchés

Une question se pose naturellement après la lecture de tous ces chiffres : à quel prix se montent ces denrées ?
Combien peut dépenser par jour la « station-magasin ».

La réponse, la « station-magasin » ne saurait la faire, car elle ne s'occupe point des achats. Les marchés ne sont pas dans ses attributions :
elle reçoit, elle expédie, suivant les besoins de l'armée qu'elle ravitaille.

Les marchés sont passés par le ministère de la guerre, par voie d'adjudication en temps de paix, de gré à gré ou par voie de réquisition en temps de guerre.
Les fournisseurs présentent leur marchandise et font leurs prix qui sont débattus par les services de l'intendance.


D'autre part, des commissions de ravitaillement fonctionnent dans toute la France, sur la demande de l'administration de la guerre,
elles achètent directement aux agriculteurs les quantités de blés, de bestiaux, de fourrages qui sont nécessaires.

Ainsi se répartit, sur tout le territoire, la fourniture pour le ravitaillement de l'armée.



pompage de l'eau et remplissage des barriques

pompage de l'eau et remplissage des barriques

approvisionnement de l'eau avec d'anciens bidons d'essence

approvisionnement de l'eau avec d'anciens bidons d'essence
L'eau ne ruisselle pas partout en Artois comme dans l'Argonne ou en Alsace, et nos troupes ont dû forer de véritables puits artésiens, à certains endroits,
pour s'en procurer. Celui que l'on voit ici est situé au centre d'une région désormais célèbre. Son débit est considérable.
Toute la journée, les hommes préposés au service de la pompe emplissent
des barriques auxquelles leurs camarades viennent s'approvisionner avec des anciens bidons d'essence pour porter l'eau dans les tranchées.

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source : le pays de France du 7 janvier 1915. création septembre 2009
Copyright JOLY Guy